vendredi 10 juillet 2009

La véritable histoire du dopage (chapitre 2)

Au milieu des Trente Glorieuses, n’en doutons pas, la République, sur son sol, fut elle aussi outragée par le dopage (elle l’est toujours). La force et la pérennité des principes d’égalité – l’une des matrices du modèle républicain –, d’impartialité et de loyauté entrèrent en contradiction avec la nature même et les mécaniques d’organisation des pratiques dopantes.

Les Républicains rêvaient toujours d’exemplarité. Or le dopage, qui épousent quasi mécaniquement l’évolution de la société, ruinèrent là aussi leurs efforts. D’autant que les inégalités se creusèrent dans le cyclisme : les plus fortunés disposaient des meilleurs produits à la mode ; l’ascenseur social montait ainsi moins aisément au septième ciel ; quand à l’argent, même s’il faudra attendre encore deux décennies pour voir son arrivée massive dans le sport, il commença à faire tourner bien des têtes. L’heure était déjà au « culte de la performance ».

Et puis, le 11 juillet 1967 : « Oui, je me suis dopé ! Un champion ne peut pas faire autrement. Ceux qui disent le contraire sont de hypocrites. » En quelques mots, Jacques Anquetil, notre grand Jacques, venait de mettre le feu à la caravane du Tour. Un tour qu’il ne disputait pas, mais qu’il suivait comme consultant, lui le jeune retraité des pelotons, lui à l’intelligence toujours aussi alerte et si déroutante. Au soir de la quatrième étape, entre Amiens et Roubaix, toute la grande famille du vélo resta clouée au mur sous le choc de ces révélations – qui n’en étaient pas, bien sûr, pour les suiveurs de l’époque.

L’interview du quintuple vainqueur de la Grande Boucle, publiée le matin même par l’hebdomadaire France Dimanche s’arracha de main en main. Tout le monde comprenait que plus rien ne serait comme avant. L'ancien journaliste de l’Humanité, Emile Besson, un intime d’Anquetil, ne le cache pas : « Courageux, Jacques l’a été toute sa vie et pas seulement sur le vélo. Parler de ce sujet tabou était pour lui une manière de marquer les esprits et évidemment de signifier à tous que lui pouvait se le permettre, que personne ne remettrait en cause ni son palmarès ni son talent. En parlant, il faisait un acte politique en direction du grand public, il prenait date et disait à tout le monde : nous allons à la catastrophe et c’est mon devoir de vous le dire. C’était Jacques Anquetil… »

Dans cet entretien à France Dimanche, Anquetil confessa : « S’il y a un grave problème dans le cyclisme, c’est bien celui du doping. Malheureusement, ceux qui en parlent le plus sont ou des hypocrites ou des ignorants. Voilà pourquoi, pour la première fois, je voudrais dire franchement ce que j’ai sur le cœur. Moi aussi, je me suis dopé. Moi aussi, comme tous les autres coureurs, il m’est arrivé d’être frappé d’un brutal coup de pompe (…) alors j’ai fouillé dans ma musette, la main tremblante, pour y cueillir des comprimés. (…) Bien souvent, je me suis fait des piqûres, (…) j’ai suivi des traitements. Si on veut m’accuser de m’être dopé, ce n’est pas difficile, il suffit de regardes mes fesses et mes cuisses, ce sont de véritables écumoires. »

Ainsi, jusqu’au coup d’éclat de Jacques Anquetil, le dopage était traité de façon anecdotique ou humoristique. Dès lors, beaucoup crurent que plus rien ne serait comme avant…

A plus tard...

4 commentaires:

Anonymous a dit…

La véritable star du Tour c'est la France! ses paysages et sa nature sont des dopants puissants et plus sains que ceux des humains.....bon courage au suiveur de la pharmacopée.....

Loïc a dit…

Vraiment, un grand coup de chapeau pour ce blog qui tranche avec l'atmosphère irrespirable du Tour 2009 : celle du journalisme de complaisance, de révérence, cette "druckerisation" des interviews qui me fait bondir devant ma télé...
Le dialogue avec Virenque est particulièrement savoureux.
Une remarque à propos du dernier article, par ailleurs excellent, et dont la suite démontrera, je n'en doute pas, que, comme pour tout dans notre monde, il est important de connaître l'Histoire avant de porter un jugement. Une remarque, donc, pour signaler une (toute) petite erreur que le passionné que je suis ne peut s'empêcher de signaler : en 1967, bien que n'ayant pas disputé le Tour cette année-là, Anquetil n'était pas encore "retraité des pelotons", puisqu'il n'acheva sa carrière que fin 1969, après quelques beaux succès comme le Tour de Catalogne, un podium à Paris-Nice et surtout un nouveau Record de l'heure (non homologué), performances qui lui valurent de disputer encore deux Championnats du monde.
En tout cas, bravo ! Et merci.

Jean-Emmanuel Ducoin a dit…

Merci de cet échange très instructif. En effet Anquetil n'était "que" retraité du Tour. Bravo pour vos connaissances, qui enrichissent les miennes.
Je vous dis mon amitié (depuis Tarbes). Vive le cyclisme - du moins celui que nous aimons authentiquement.
JED

Anonymous a dit…

A propos de Jacques Anquetil, l'ancien coureur Marcel Queheille, de Mauléon, m'a dit un jour qu'il était effaré par le nombre de produits et de comprimés que prenait le champion normand.

Il ne faut pas se leurrer, il y avait des "chaudières" parmi les plus grands champions de l'histoire : Coppi,Gaul,Anquetil,Simpson, Nencini,Bobet, c'était pas les rois de la vertu !!

Et pourtant, les journalistes les classent toujours parmi les plus grands champions de l'histoire.Les amphétamines, la cortisone, c'était déjà du dopage scientifique, qui a créé beaucoup de dégats.

Il suffit de voir ce que sont devenus les coureurs que j'ai cité..