vendredi 11 juin 2010

Coupe du monde : éloge improbable du football…

Faut-il donc avoir lu Roland Barthes (au moins lui) pour que l’idée même de la «métaphore du stade» ne soit pas une vaine formule appliquée aux nécessités épiques d’un monde aux passions souvent dérisoires ? A l’heure où la planète entière tourne les yeux vers le continent africain pour «voir» l’événement sportif le plus populaire d’entre tous, il n’est donc pas inutile de réfléchir un instant au vertige de ces hommes se disputant jusqu’à la sueur une parcelle de terrain réglementée pour un ballon, s’interroger sur l’imminence de ces scénarios improbables qui ne tournent pas toujours rond, précisément…

À chaque déification sportive, démesurément mise en scène par l’hyper-bulle économico-médiatique, le questionnement resurgit et provoque des fractures intellectuelles qui semblent souvent irréconciliables. Le discours commun, rabâché de la Rive-Gauche à tous les salons pseudo-littéraires, est archi connu : tandis que trois milliards de téléspectateurs s’apprêtent à suivre la messe quotidienne, il faudrait être «pour» ou «contre» le football, oubliant que le minimum d’intelligence devrait plutôt nous recommander une posture intellectuelle minimale. Résumons-là par ces mots: aimer si nous aimons ; apprendre à aimer si ça en vaut la peine ; mais toujours en connaissance de cause.

Le chronicoeur, passionné de cyclisme et de sport en général (quel aveu !), ne va nier l’évidence. On aurait toutes les raisons de se détourner de ces spectacles sportifs outrageants de puissance communicative, penser qu’il n’est plus qu’un théâtre désenchanté par la fausseté et les apparences, l’antre piétiné d’une humanité de friqués vivant hors-monde, hors-sol, hors-société, tous plus ou moins transformés en truqueurs survitaminés et/ou en traders dignes des patrons du CAC 40 ! De même, nous pourrions aisément rappeler la chronique d’un sport malade de ses excès, éventré par ses performances, tétanisé par le fric-fou. Redire cet « univers » parallèle plus ou moins vassal des diktats d’un monde marchand cynique – le pillage des jeunes africains est en ce domaine significatif...

Après semblable peinture (réaliste), devons-nous encore nous demander s’il y a des raisons d’y croire ? Pourquoi montrer une quelconque passion ? Faut-il encore écouter Eric Cantona, quand il suggère : «Par moments, il faut juste savoir passer la balle et regarder l’aboutissement de quelque chose, puis prendre son pied.»

Osons. Car le sport, en effet, reste un monde en réduction qui continue de créer des personnages et des événements à sa démesure. Or le football, à lui tout seul, par son universalité, matérialise cette démesure… Si l’on ne peut plus nier que certains veuillent « mondo-capitaliser » le sport pour mieux anesthésier tout esprit de révolte (comment avoir le goût de la révolte quand on s’identifie à Zidane ?), on ne saurait, dans le même temps, fermer les yeux et laisser faire, tout en se dépassionnant pour le jeu et les artistes qui le servent parfois !

Non ! Nous ne nous résignons pas au monde tel qu’il est, alors pourquoi devrions-nous laisser l’argent et la mise en concurrence à outrance gangrener le sport le plus populaire de la planète ? Le sort du monde nous intéresse : l’avenir du sport nous intéresse tout autant ! Car, n’en déplaise à beaucoup, une certaine idée du sport (plus solidaire, plus éducatif, etc.) peut encore s’imposer, à condition de ne pas laisser l’argent et la mise en concurrence diabolique gangrener le rêve vivant de centaines de millions de gamins - souvent les plus pauvres.

Qu’on se le dise. La «métaphore du stade», si chère à Barthes, n’est jamais écrite à l’avance. Les acteurs eux-mêmes, par le jeu et leur intelligence, sont toujours là pour nous étonner. L’émerveillement, quand il est «pensé», peut libérer des ressources cachées. Et débouche, quelque fois, sur des moments de bonheur irremplaçables. Comme un certain 12 juillet 1998. Vous vous souvenez ?
Même au stade suprême du capitalisme, ne l’oublions pas.

(A plus tard…)

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo pour cette réflexion pleine d'espoir - trop peut-être? Tous ces jours ont gangrené le sport du haut en bas, hélas. Bien sûr il ne faut pas désespérer et je suis d'ccord pour dire qu'il ne faut pas se désintéresser du sport sous prétexte qu'il est souvent pourri: la politique aussi est souvent pourrie, faut-il pour autant renoncer à la vie de la cité? Bien sûr que non. Mais alors, le sport a lui aussi besoin d'une révolution : et ce n'est pas pour demain...

Anonyme a dit…

On ne peut que souscrire à cette idée simple: puisque l'état du monde nous intéresse (si je comprends bien), l'état du sport, donc du football, devrait également nous préoccuper? C'est un pari, pourquoi pas. Juste une question néanmoins: n'est-ce pas déjà trop tard? Avez-vous envie de vous battre pour que Ribéry change? Ou Zidane? Franchement, n'est-ce pas un combat totalement perdu d'avance? Et pourtant, Monsieur Ducoin, j'ai été toute ma vie un passionné de foot (je suis Marseillais). Mais je suis désormais très écoeuré par ce que je vois...

Anonyme a dit…

Je partage à 100% ce point de vue de JED: comment peut-on avoir envie de changer le monde quand on s'identifie à ce Zidane, vendu à tous ses sponsors et incapable d'avoir une opinion plus haut que l'autre? Rendez-nous Cantona!!!

Anonyme a dit…

Je viens de découvrir ce blog sur le site de l'Huma. Bravo à l'auteur pour la diversité de ses sujets. C'est très impressionnant...