lundi 13 septembre 2010

Dignité(s) : les retraites, Marx et la rue...

Retraites. Tous parmi la foule. Une foule soudée pour un combat de civilisation. Ces artisans d’une des plus belles mobilisations populaires depuis beau temps sont souvent décrits, par quelques pseudo-penseurs de la médiacratie, comme des marginalisés de la mondialisation, des sans-grade de l’évolution, des non-instruits du monde-qui-change. Mais ces millions de personnes, debout, qui veillent encore sur une France épouvantée, continuent, elles, à produire les valeurs morales d’une ambition collective. Sentinelles 
dans la nuit... Elles résistent, labourent leur quotidien, se lèvent 
à pas d’heure et se couchent dans la douleur, cumulent parfois les emplois, cherchent des issues. N’en déplaisent aux nicoléoniens, ces gens dits «de peu», par lesquels l’être-ensemble prend tout son sens, produisent les plus-values sans lesquelles, depuis que le capitalisme est ce qu’il est, il n’y aurait ni capital, ni richesses, ni excès, ni luxe, ni économie globalisé, ni CAC 40.

Manifs. Dans les rues parisiennes donc. Des jeunes (que de jeunes !!!), des vieux, des hommes, des femmes, des ouvriers, des profs, des sans-emplois et même des syndicats de policiers. Puis du soleil, et, tenez-vous bien, beaucoup de cadres défilant en rang serré de blanc vêtus. Malgré la peur distillée dans tous les discours depuis des mois, peur qui gagne quand les budgets publics sont mis au régime sec et que les agences de notation menacent et dictent leur loi, bref, malgré un climat de psychose, pas moins de deux millions et demi de manifestants partout en France. Un 7 septembre ! Franchement, avec le calendrier de «trêve estivale» fixé par le gouvernement, qui espérait briser l’élan du mouvement social, même les plus audacieux n’auraient jamais imaginé un tel succès en nombre. D’où la question légitime : le peuple en marche peut-il l’emporter ?

Classes. Entre mépris et insulte, Nicoléon continue comme si de rien n’était à négliger ce peuple en révolte. Inflexible sur les dates pivots du système, en particulier le passage de 60 ans à 62 ans de l’âge légal, intransigeant sur l’esprit même de l’idéologie qui préside à ce texte sauf quelques aménagements prévus de longue date, le prince-président n’a donc accepté de discuter que sur les marges. La philosophie, la loi, la règle, les valeurs, les normes et au bout du compte une certaine idée de la République sont mises au défi permanent de leurs destructions. Ainsi, plus question d’accuser la seule autorité, ou sa représentation. S’il s’agit d’actes hautement symboliques, ils sont d’abord et avant tout réels ! À vouloir balayer la classe ouvrière, quand il ne s’agit pas – vieille histoire – de nier jusqu’à son existence, la classe dominante et son allié libéral-sécuritaire n’engendrent rien d’autre qu’une forme de barbarie. Une barbarie (anti)sociale, le rêve d’une société sans classe ouvrière qui façonnerait un travail sans travailleurs, désaffilié, sans statut, invisible et muet, ne revendiquant plus rien qu’une subsistance a minima. Une espèce de travail captif d’une des variantes les plus éhontées de l’esclavage contemporain, l’insécurité sociale, la précarité de l’emploi, la sous-traitance, l’intérim, etc. Autant le dire : une société qui humilie sa force de travail est une société de l’aliénation. Tel est le but du capitalisme, plus que jamais lourd de périls extrêmement graves. Tandis que la créativité humaine est endormie dans les sociétés figées, chez des esprits quelquefois domestiqués, les crises, comme celle que nous vivons aujourd’hui, ont-elle la vertu de réveiller les capacités créatrices ou destructrices ? Rappelons-nous de l’injonction de Gramsci : «Optimisme de la volonté, pessimisme de l’intelligence.» Devra-t-on attendre la grande crise finale pour que la classe ouvrière (re)prenne la parole et le pouvoir sur la vie, (re)mettant la main sur son destin, dans l’alliance, le respect, la fierté et la dignité de l’être historique ?

Marx. «La France n’a pas besoin de réformes, elle a besoin d’une révolution», écrit l’écrivain et cinéaste Gérard Mordillat dans une préface tonitruante qu’il vient de donner aux Éditions Demopolis, à l’occasion de la publication du volume I de Qu’est-ce que le capitalisme, de Karl Marx, une compilation en cinq chapitres du Capital. Sachant que, en 2010, seule la moitié des manuscrits du célèbre philosophe et théoricien socialiste a été à ce jour publiée, donc que l’autre moitié reste inédite (sauf pour une poignée d’érudits privilégiés ayant accès aux archives), et sachant par ailleurs que le «retour» à la lecture des œuvres de l’auteur du Manifeste est un phénomène mondial depuis le début de la crise financière, nous ne pouvons que saluer l’initiative de Demopolis, qui, à sa manière, contribue utilement à l’inlassable chantier de décryptage du capitalisme. Mordillat interroge : «Comment penser cette impensable transformation du monde où 2% de l’humanité disposent de 50% des richesses, où la moitié des hommes n’en possèdent qu’un pour cent ?» Et il ajoute: «Et c’est là que l’énergie révolutionnaire des analyses de Marx nous encourage et nous soutient dans une perspective aussi joyeuse que stimulante que celle d’un slogan vu sur le mur d’une usine en grève : le capitalisme est malade, achevons-le !» Beau programme, non?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 11 septembre 2010.]

(A plus tard...)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

En effet, en revenir à la lecture (et non à la lettre) de Marx est un ressourcement merveilleux que chaque citoyen devrait faire au plus vite ! Alors merci de nous le rappeler.

Anonyme a dit…

Cher Monsieur Ducoin,
Après autant de livres malgré votre jeune âge, vu votre position à l'Humanité et connaissant votre plume et votre talent devant l'actualité, vous devriez demander des conseils à votre ami Mordillat et écrire vous aussi un livre sur Marx, plus vivant que jamais, je le confirme. Ce serait une belle contribution pour notre Humanité que nous aimons tant et sans laquelle la France ne serait plus ce qu'elle ait.
Fraternellement. ANDRE