vendredi 28 janvier 2011

Suicides à La Poste : brisons l'omerta !

Simone de Beauvoir disait souvent que «la vie garde un prix tant qu’on en accorde à celle des autres, à travers l’amour, l’amitié, l’indignation,
la compassion». Demeurent alors les vraies raisons d’agir, de parler. Et aussi de dénoncer ! L’enquête que nous publions aujourd’hui sur le désastre humain à La Poste ne devrait pas constituer une indignation de plus s’ajoutant à tant d’autres, mais devrait bel et bien agir comme une révélation, une mise en alerte, un cri collectif contre la mise en danger d’autrui ! Ce qui se passe en effet chez le «premier employeur de France après l’État», selon la terminologie officielle, a de quoi nous inquiéter et nous révolter. La Poste en plein mal-être ? Beaucoup en sourient. La réalité s’avère pourtant d’une cruauté extrême : stress, ambiance délétère, conditions de travail dégradées, rapports alarmants des médecins du travail, managers cruels, harcèlement… et suicides.

Chacun connaît les racines du mal, déjà expérimentées chez France Télécom. La Poste vit une crise identitaire sans précédent. Cette administration, que le monde entier jadis nous enviait, a été récemment transformée en société anonyme par le gouvernement de Nicolas Sarkozy – avec le cortège antisocial qui accompagne la privatisation. Pour décrire ce que les dirigeants tentent de leur imposer, certains postiers en pleine souffrance psychologique, n’hésitent pas à parler de «révolution culturelle». Les témoignages que nous publions sont éloquents et incarnent les uns après les autres l’ampleur de ce malaise social. Management dur, aveugle, souvent scandaleux. Cadences de plus en plus infernales. Changements de poste (sans mauvais jeu de mots) injustifiés. Logiques libérales mises en place du haut en bas de la hiérarchie, en totale contradiction avec les valeurs et l’éthique des missions de service public d’autrefois. Rappelons qu’avec 13 000 emplois supprimés par an, La Poste a déjà perdu 63 000 salariés depuis 2003...

«La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?» Vous vous souvenez ? C’était cynique comme du Laurence Parisot... En cette époque où tous les salariés sont menacés d’être dissous dans l’acide financier, quand toutes les frontières de la douleur ont déjà cédé sous les assauts du monstre de l’injustice, il faut se rendre à l’évidence : la souffrance au travail tue beaucoup 
ces temps-ci. L’«affaire» France Télécom a levé le voile. Celle de La Poste sera plus grave encore. Évoquant ni plus ni moins une «vague de suicides», les syndicats avancent déjà le chiffre effarant de 70 décès. Faudra-t-il que le décompte macabre dépasse les bornes pour que, comme à France Télécom, on finisse par ouvrir les yeux ?

Comme chaque suicidé à La Poste paraphe par son sang l’arrêt de mort du service public, chaque souffrance extrême au travail nous parle d’un monde désaxé sur la gestion et la rentabilité, où la sauvagerie du chacun-pour-soi tend à effacer le métier bien fait et la qualité fondée sur les règles de l’art, le vivre-ensemble et la coopération. Figure là tout ce que l’on sait, hélas, de l’évolution des conditions de travail au sein de l’économie dite «libérale» : la pression, la précarisation, la subordination, la concurrence entre salariés, l’individualisation croissante des responsabilités, la désaffiliation, l’humiliation, etc. Répétons-le encore et encore : l’idée que le suicide puisse devenir un acte ultime de résistance nous est insupportable !

(A plus tard...)

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