vendredi 29 avril 2011

Suicides de salariés : le feu de l'époque...

Le suicide est-il toujours, comme le disait Victor Hugo, «cette mystérieuse voie de fait sur l’inconnu»? Parfois, mettre fin à ses jours révèle dans toute sa cruauté un état de légitime défense. De sorte que l’acte n’en est plus un acte en tant que tel. Saisi comme par un vertige, le suicidé subit le suicide… Chacun le sait, il est des souffrances extrêmes qui, nolens volens, tendent un miroir mortifère sur l’état de nos sociétés et nous permettent de disséquer, dans un processus violent, les tréfonds de ce que nous continuons d’appeler encore «le monde du travail»…

Les traces de l'immolation par le feu de Rémi L.
Ainsi en est-il du dernier suicide chez France Télécom-Orange, dont le «mode opératoire», comme disent froidement les cliniciens, par sa symbolique du geste et du lieu, ne laisse rien au hasard. L’immolation par le feu ; et sur le parking d’un des sites de son entreprise… Tel était le choix définitif de Rémi L., mardi 27 avril, à Mérignac. Un choix radical et choquant, pour ses proches, pour ses amis, pour nous tous en vérité, mais le choix d’un homme au bout du bout, qui, exténué par des années d’humiliations et de cruelles expériences, ballotté ici et là au gré de sa hiérarchie et des instructions managériales imposées par le groupe, a préféré se retirer de la pire des manières, en laissant l’empreinte de sa mort sur un mur pour jamais assombri... En choisissant l’horreur sacrificielle absolue, à l’endroit même de son dernier poste fixe chez Orange, sans doute Rémi L. voulait-il à la fois ranimer les terribles souvenirs de l’ère Didier Lombard, dont la gestion des «ressources humaines» fut dénoncée suite à la vague de suicides, tout en révélant à tous, par l’ampleur d’un suicide impossible à cacher, que la situation chez France Télécom reste grave et provoque encore des douleurs psychologiques susceptibles de drames.

Le cas de Rémi L. fut emblématique. Devenu l’un des «préventeurs» au sein de l’entreprise, fonction créée pour prévenir les risques professionnels, «il était depuis quelque temps très amer car il s’était aperçu que tout ceci n’était que de la poudre aux yeux», témoigne un collègue… Depuis le départ de Didier Lombard et la nomination de Pascal Richard, la direction avait annoncé un changement dans ses méthodes de gestion, assurant que l’entreprise était parvenue à «apporter des réponses fortes» à la souffrance au travail… Comment n’en pas douter? Au seuil de la colère, quand toutes les frontières de la douleur ont cédé sous les assauts de l’injustice, que dire encore de la course à la rentabilité, de la réalité du stress, des ambiances délétères, des traces spectrales laissées par le «time to move»? Figure là tout ce que nous connaissons de l’évolution du travail au sein de l’économie dite libérale, la pression, la précarisation, la subordination, la concurrence entre salariés, l’individualisation des responsabilités, la désaffiliation, la sauvagerie du chacun-pour-soi...

Nous connaissons parfaitement bien les racines du mal. Mais que le suicide puisse devenir un acte ultime de résistance est une idée insupportable ! Il est grand temps que les gestes individuels et désespérés cèdent la place à des actions collectives et syndicales de grande ampleur, pour que les salariés eux-mêmes imposent des règles fondées sur le vivre-ensemble et le développement. Faute de quoi, la morbide série de suicides se poursuivra, comme depuis des années, dans tous les secteurs : Renault, France Télécom, HSBC, BNP Paribas, La Poste, EDF, Sodexho, Ed, IBM, etc. Des vies en dépendent. Qui en doute?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 28 avril 2011.]

(A plus tard...)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Comment leur dire qu’ils se trompent ? Pour l’amour des siens (du monde) le travail ne mérite pas cette immolation ! Cela ne fait qu’ajouter de la douleur à la douleur.

Anonyme a dit…

Employé en 1970 à 16 ans
Licencié en 2010 à 56 ans
40 ans de service chez Kléber Toul(Michelin)
Pour moi , les suicides ne m 'étonnent pas.
Devenu cégétiste puis communiste, j'ai vu et vécu l'évolution des conditioins de travail changer, surtout se dégrader avec la Gauche au pouvoir.Les patrons ont très bien su utiliser les nouvelles lois en leur faveur avec en prime l'apologie d'entreprendre, de l'entreprise incarnée par B. TAPIE( présent dans tous les médias à cette époque. Années 80) et toutes les conséquences que l'on connait aujourd'hui(objectifs, productivité etc, etc...)avec aussi la désindexation des salaires sur les prix,remplacée par des primes ou du salaire individuel(mérite), j'en passe et des meilleures. Et c'est à partir de cette période que l'individualisme au travail a pris de l'ampleur et a grangréné la société toute entière.A partir de là, il ne faut pas s'étonner que l'électorat populaire ait déserté les urnes ou voté FN car pour lui, la droite et la gauche, c'est pareil parce qu'il l'a vécu.Si la gauche veut retrouver le pouvoir et récupérer les électeurs décus, je lui conseille de faire son MEA CULPA sur ses années de gouvernement.

Anonyme a dit…

Le suicide de Mérignac est particulièrement monstrueux car même au moyen-âge, du temps des buchers, on ne mourrait pas de cette façon par et pour le travail...je partage parfaitement le point de vue de JED, il faut que la lutte syndicale s'organise de l'intèrieur, massivement, que des manifestations d'ampleur des salariés de FT/orange aient lieu sans relâche, etc..etc...il faut que les salariés de base réagissent vigoureusement face à la Direction et au management inhumain puisque tel est le résultat...Richard était déjà là du temps de Lombard me semble-t-il?!....d'enquête interne en enquête interne sans sanctions pour les responsables de cette situation rien ne change et ne changera....pour une entreprise dont l'outil est basé sur la communication (il faudrait commencer par communiquer avec le Personnel avant de vendre de la com!) c'est plus que lamentable....PAT