lundi 9 juillet 2012

Tour : c'est Pinot, Bradley et ses potes in the Sky !

Après la moyenne montagne, l’Anglais Bradley Wiggins porte le maillot jaune et peut compter sur une équipe pour l’instant surpuissante. Pierre Rolland tente de limiter la casse. Hier, Thibaut Pinot a donné sa première victoire à la France.
Depuis Porrentruy (Suisse).
«Faire premier français d’une étape ou du général, ce n’est pas le classement qui m’intéresse.» La nostalgie, mère nourricière du peuple du vélo, retrouve parfois des échos valeureux. Pierre Rolland, le leader d’Europcar, a l’ambition des champions insensés qui refusent le métronomique et le programmable. Sous le cycliste avéré, l’homme complet est déjà là, bien planté sur ses convictions, dans l’expression de ses sentiments et même, divines qualités, dans le courage et l’abnégation. Après la première «lessive» du Tour au sommet de La Planche-des-Belles-Filles, le protégé de Jean-René Bernaudeau aurait dû savourer. Septième de l’étape, avec cette ondulation des reins comme pour amortir les chocs, il fut en effet le seul Français à se hisser parmi les meilleurs, ne concédant que peu de temps aux ténors déclarés. «Le soutien du public m’a rendu plus fort dans la souffrance», affirmait-il. Il repensait aux séquelles de sa chute vers Metz. Dans sa vérité nue, malgré un coude meurtri et un organisme brinquebalé, il était l’un des rares à résister à l’armada Sky.

Car depuis ce week-end, le Tour s’est élevé en s’informant de son propre mystère. Un mystère très actuel, au nom bref et trois lettres qui claquent au-dessus de nos têtes : Sky. Lors de la vraie première ascension (1), l’équipe britannique a singé le passé. Au plus fort de la pente (6 km à 6,4% de moyenne), lorsque la sélection naturelle devint la règle des plus forts, l’allure infernale des Sky nous projeta en arrière. Nous crûmes revoir l’US Postal ou la Deutsch Telekom.
Pas un cauchemar. Juste le rêve de Bradley Wiggins, qui, à 32 ans, veut à toute force devenir le premier Britannique à gagner la Grande Boucle. L’ancien pistard, champion olympique, tout auréolé de son beau paletot jaune, dit avoir travaillé «comme un damné» pour y parvenir, acceptant de transformer sa silhouette de longiligne plutôt puissant en fildeferiste cadavérique à l’allure si fragile qu’on croirait son squelette de verre. Pensez donc: 1,90 mètre pour 68 kilos, certains préceptes ont resurgi de nulle part. «Maigri, et tu gagneras mon fils!», conseillaient les maîtres es victoires au début des années 90. Wiggins a poussé le régime jusqu’au corps évidé. Pas joli-joli.

Bradley Wiggins.
Heureusement, le nouveau boss du Tour est entouré. Et même bien entouré. Avec Boasson Hagen, Cevendish, Eisel, Froome, Knees, Porte ou Rogers, le «meilleur grimpeur des rouleurs», selon la formule ironique de Cyrille Guimard, dispose d’une brigade à sa disposition comme on en a peu connues ces dernières années. Tellement que, pour commenter la performance collective de ses hommes vers La Planche, le directeur sportif Sean Yates s’excusait presque: «Nous n’avons pas le choix. Dès lors que Bradley ne supporte pas les à-coups, c’est à nous d’imprimer le tempo.» Les amoureux de vélo le savent: la course reste un hasard, logique, parfaitement organisée, où l’histoire des hommes s’écrit sous la fusion des orgueils. Qui aurait pourtant imaginé qu’un semblant de « tiercé gagnant » émergerait avant même le contre-la-montre de ce lundi (41,5 km)? Seuls Cadel Evans (BMC) et Vincenzo Nibali (Liquigas) semblent au niveau de Wiggins. Mais attention. Un Anglais en cache un autre: Christopher Froome. Vainqueur samedi, le natif de Nairobi, diplômé en économie à l’université de Johannesburg, n’a pas seulement impressionné ceux qu’il a dominés. «C’est lui le plus fort du Tour», clame Cyrille Guimard. Dauphin sur la Vuelta en 2011, quatrième du dernier Dauphiné dans un rôle d’équipier, le gars, à 27 ans, affiche un profil que l’on devine affûté sous le cuir. «On me désignera peut-être leader dans le futur, mais pas cette année», tranche-t-il. Le chronicoeur demande à voir.

Thibaut Pinot.
Hier, petit tour en Suisse. Façon montagnes russes pour baroudeurs, sept difficultés d’inégales ampleurs ont littéralement atomisé le peloton, éparpillé par paquets au fil des 157 kilomètres. Côté favoris, les Sky de Wiggins, les Liquigas de Nibali et les BMC de Evans ont veillé, jusqu’à permettre une forme de neutralisation au sommet du col de la Croix, placé à 15 kilomètres du but. L’Espagnol Samuel Sanchez (Euskaltel), lui, avait déjà quitté le Tour, fracassé sur le bitume. Quant à Pierre Rolland, il a montré quelques signes inquiétants dans La Croix, maudit chemin, laissant s’envoler une volée de secondes… Rescapé d’une longue échappé matinale, le Français Thibaut Pinot (FDJ), 22 ans, a réveillé les âmes françaises des cocardes de Juillet. Le gamin, au terme d’un exploit magistral, l’a emporté en solitaire. Autant le dire. L’éruptive joie de Marc Madiot nous a soudain déplissés d’orgueil. Et rien à voir avec la nostalgie, croyez-nous.

(1) Le doux nom de La Planche-des-Belles-Filles masque une histoire légendaire tragique. En 1635, en pleine guerre de Trente Ans, des mercenaires suédois massacrèrent tous les hommes de la vallée et, pour échapper à leurs bourreaux, les femmes préférèrent le suicide collectif en se jetant dans les eaux du lac. Une seule survécue…

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 9 juillet 2012.]

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