mardi 17 juillet 2012

Tour : le clou du spectacle, c’est Pierrick Fédrigo!

Victoire d’étape pour le Français de la FDJ. Mais hier, tout le monde ne parlait encore que du « sabotage » de la veille, des clous de tapissier jetés sous les roues des coureurs, et de l’enquête des gendarmes…

La victoire de Pierrick Fédrigo à Pau.
 Depuis Pau (Pyrénées-Atlantiques).
«Sabotage sur le Tour.» «Acte criminel.» «Geste ignoble.» Depuis les épisodes du Mur de Péguère, dimanche, le chronicoeur cherche à rentrer dans les clous pour éviter le Tour de vice. Cherchant dans les classiques majeurs quelque réconfort, le maître Roland Barthes s’est de nouveau imposé à l’heure où l’épreuve a frôlé le fait divers en amassant des tonnes d’indignations. Dans ses Mythologies, Barthes traite le Tour comme une comédie classique, un spectacle qui «naît d’un étonnement des rapports humains» (1). Sanctuarisée et glorifiée par l’aménagement de ses propres lois, la Grande Boucle est rarement victime des duperies du monde «de la société civile». Retour à la réalité.

L’affaire des crevaisons à répétition, manifestement provoquée par la malveillance d’une ou plusieurs personnes, est donc prise au sérieux. Pensez donc: soixante-et-un changements de roues en quelques kilomètres, du jamais vu dans l’histoire du Tour. Une pagaille généralisée pour les coureurs et les suiveurs, une course quasi neutralisée alors qu’une bagarre pouvait prendre forme dans le final de l’étape entre Limoux et Foix, et, surtout, de vraies menaces sur l’intégrité physique des casse-cous dévalant à tombeau ouvert la descente du Mur de Péguère. Robert Kiserlovski (Astana) en sait quelque chose. Après avoir donné sa roue à Janez Brajkovic, le Croate fut percuté de plein fouet par Levi Leipheimer (Omega Pharma). Résultat: fracture de la clavicule, abandon. Petar Tomich, technicien américain travaillant pour Mavic (l’assistance dépannage neutre des équipes), témoigne de l’anarchie qui régnait: «C’est la première fois que je vois une course ainsi sabotée. C’était le chaos absolu, la folie, comme si la course avait explosé brutalement!»

Depuis, non seulement les dirigeants du Tour ont officiellement porté plainte «contre X», mais les gendarmes de la Brigade de recherches de Saint-Girons ont lancé un appel à témoins, tandis que, sur instruction du parquet de Foix, une enquête judiciaire a été ouverture pour «blessure volontaire». La traque au(x) semeur(s) est lancée. Selon des sources judiciaires, «les enquêteurs tâchent d'identifier et d'entendre les coureurs qui ont chuté, les suiveurs victimes ainsi que les spectateurs présents». Nos Sherlock Holmes des pelotons précisent même qu’«une série d'analyses vont être menées sur les clous de tapissier» retrouvés sur les lieux du crime pour «tenter de localiser leur point de vente». Aubusson et Bayeux n’ont qu’à bien se tenir.

Hier, entre Samatan et Pau, lors d’une étape à effort relativement bref (158,5 km), toute la caravane ne bruissait encore que de ces cliquetis métallique. Avant la seconde journée de repos, les coureurs, dont on nous dit qu’ils sont en état de «fatigue très avancée», traversaient pourtant le piémont pyrénéen, de Samatan, plus important marché au gras du monde, à Pau, capitale historique de la Gascogne. Crevés, certains en auraient presque oublié la quatrième victoire d’étape pour la France, celle de Pierrick Fédrigo (FDJ), qui se joua aisément de ses cinq compagnons d’échappée, Voeckler, Vandevelde, Devenyns, Dumoulin et Sorensen. Le Peloton, lui, coupa la ligne avec plus de dix minutes de retard. Rien à en dire.
L'attaque de Pierre Rolland dans la descente du Mur de Péguère.
Signalons quand même les abandons, pour cause «d’épuisement», de Sylvain Chavanel (Omega Pharma) ainsi que de deux coureurs d’Europcar, Giovanni Bernaudeau et Vincent Jérôme. Enfin, revenons un instant sur le «cas» Pierre Rolland, qui, dimanche, en plein carnage de pneus, en aurait profité pour prendre la poudre d’escampette avant d’être rappelé à l’ordre par la patrouille. Le leader d’Europcar a-t-il violé la règle du Tour qui consiste à ne jamais attaquer des adversaires victimes d’arbitraires? Bradley Wiggins, patron du peloton accrédité pour exprimer au nom de tous le bien et le mal, ne cache pas ses doutes: «Je ne sais pas s’il savait ce qui se passait, il faudrait lui demander. Mais on l’a appelé une première fois et il a quand même attaqué. Ce n’est pas convenable d’essayer de bénéficier de la malchance des autres.» Pierre Rolland se défend: «Je sais très bien que le peloton a ses codes et ça me chagrine vraiment qu’on puisse croire que j’ai enfreint les règles. Si j’ai pu choquer, j’en suis désolé.» Pour Cyrille Guimard, observateur scrupuleux, la chose est entendue: «J’ai du mal à imaginer qu’il n’était pas au courant qu’un certain nombre de coureurs venaient de crever…»

D’avoir tant vu, le chronicoeur ne serait pas étonné d’assister un jour à la déroute de notre Rolland, isolé et désolé de se faire plumer à la solidarité. Le Tour a de la mémoire et à ce titre il reste impitoyable. Ainsi nous faut-il toujours l’appréhender pour ce qu’il est, un apologue à usage populaire mais à morale ambiguë, au sens où l’entend Roland Barthes: «Une fable unique où les impostures traditionnelles se mêlent à des formes d’intérêt positif.»

(1) Cité dans « Forcenés », de Philippe Bordas, édition Fayard, 2008.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 17 juillet 2012.]

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