vendredi 26 octobre 2012

Champion(s) : le vélo après Armstrong...

Toutes les victoires du monde valent-elles qu’on dépouille l’homme de son esprit, de sa morale, de son libre arbitre? Et que dire d’une performance quand elle se mesure dans le sang?

Vélo. Nous n’entrons jamais par effraction dans la sacristie du vélo, les yeux embués par l’émotion trahie, titubant mais cherchant çà et là, épars parmi nos propres convulsions, quelques traces de notre sport aimé, de notre Tour chéri, nous disant que, toute foi devenue impossible, il nous fallait cheminer parmi les ombres en préservant l’Idée par laquelle nous refusons l’exécution. Les initiés le savent : le cyclisme a toujours été 
un cercle de feu que les mots seuls peuvent verbaliser. Las. Mangé par le temps (celui de la globalisation) et le dopage (celui de la biochimie sanguine et génétique), le vélo a cessé d’être cet art figuratif que le chronicœur de Juillet a croisé trop brièvement lors de ses toutes premières Grandes Boucles 
– déjà 23 au compteur… Pourtant, en tendant bien l’oreille, nous percevons la rumeur du siècle dernier, le sifflement des roues sur l’asphalte et les cris du peuple du Tour. Mieux, en chaussant des lunettes grand braquet, le nez dans les Saintes Écritures, nous dénichons dans le livre des Illustres de quoi nous consoler les yeux. Des histoires à veiller à la chandelle. Pour ne pas avoir à nous rouler comme un bidon dans le fossé.

Armstrong. Écœurés par la métamorphose des corps et la perversion des esprits au service du biopouvoir, que pouvons-nous dire qui n’ait été jamais énoncé ou suggéré, à défaut de nous trouver une place, une petite, en intelligence et en raison? Croyez-nous, par sa vérité nue qu’aucune tricherie 
ne peut aliéner totalement, le vélo permet de sonder les âmes.
Nous savons tous la vérité d’un dopage lié à la naissance du cyclisme. Oui mais. En ces heures tragiques, où nous regardons ce Lance Armstrong déchu avec la joie simple d’avoir modestement participé au travail accompli, comment ne pas repenser à Laurent Fignon, au champion, à l’ami, au frère de courage? Comment ne pas se souvenir des heures partagées avec ce témoin des dernières traces de l’Âge d’or, lui qui n’hésitait pas à pleurer sa génération: «Ce qui me rend fou, ce sont tous ces produits qui ont modifié la valeur athlétique 
des coureurs, confessait-il. Avant, on disait à juste titre qu’on 
ne pouvait pas transformer un cheval de trait en étalon. Depuis les années 1990, ce n’est plus vrai. Tout a changé. Il n’y a plus de repères “humains’’ vérifiables…» Et comment ne pas reciter la célèbre formule de l’écrivain Philippe Bordas, qui, dans Forcenés (Fayard, 2008), posait ainsi les principes fondamentaux pour distinguer les époques: «Les dopages étaient dérisoires, les exploits énormes. Que penser de 
ce dopage devenu énorme, de ces exploits dérisoires?»

Sang. Chacun a bien compris que les protocoles récents, ceux d’Armstrong et des autres, sentaient la froideur d’un monde-éprouvette qui enfante des phénomènes de performances. L’homme-machine est parmi nous. Dénaturé à l’extrême. Formaté pour parvenir à l’effort sans se soucier du chemin emprunté. Déclassé à lui-même avant tout déclassement. Plus qu’une préfiguration, un cauchemar réel... Vous souvenez-vous de Bienvenue à Gattaca? Ce prodigieux film américain nous projetait dans ce monde tant redouté, où quelques hommes, triés sur le volet en fonction de leurs paramètres génétiques, sont choisis par des hommes «de science» sur des critères exclusivement biologiques. Piqûres et prescriptions ultramédicalisées. Et le tour est joué. Voici l’élite. Fini la sélection naturelle, la fatigue, l’intelligence cognitive, le trépas des neurones et nos troubles poétiques. Armstrong avait quasiment perdu la vie, que pouvait-il perdre de plus? Toutes les victoires du monde valent-elles qu’on dépouille l’homme de son esprit, de sa morale, de son libre arbitre? Et que dire d’une performance quand elle se mesure dans le sang? Oui, les dopages sont devenus considérables
et les exploits dérisoires. C’est dit. N’y revenons plus.

Produit. Et le Tour? Il avait jadis préservé sa tragique onctuosité, protégeant jusqu’à l’orgueil cette irascible bataille des «hommes de loin qui vivent près de chez nous», comme l’écrivait Blondin. Où est notre fameux Tour d’enfance qui projetait sur nos champions une part de nos fantasmes d’émancipation? Jusqu’aux Hinault-Fignon, les hommes sur leurs machines restaient des humains en souffrance à partir desquels nous pouvions nous déterminer. Désormais, cette pseudo «avant-garde» sportive associe le futurisme du corps avec le conformisme du style de vie du monde marchand 
qu’elle légitime par son exemple: un organisme biologique toujours nouveau, refabriqué, parfait, globulairement renouvelable. Triomphe du champion-produit. Qui peut encore s’identifier en lui?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 26 octobre 2012.]

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Si M. Lance Edward Gunderson est le " produit " de tout ce que vous décrivez,
n'oublions pas l'être humain derrière.

Votre bloc-notes est du calibre " Les Forçats de la route ".

« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».

Anonyme a dit…

"Le cyclisme est une belle métaphore".
Celle d'un sport qui n'est plus. Comme n'est plus la classe ouvrière dans laquelle il recrutait tout comme le football la plupart de ses héros et de ses fortes têtes...ses vaillants Bernard Busard (325000 francs)
Le monde a progressivement changé sans qu'on n'en s'aperçoive. Une véritable révolution sociale et technologique s'est opérée, qui contrairement à celle brutalement initiée par les Bolchéviques, a réussi à fabriquer l'Homme nouveau libéré des contraintes et normes de la Tradition et de la Nature.
Comptons sur le nouveau gouvernement pour libérer l'humanité des derniers archaïsmes patriarcaux et moraux.

Anonyme a dit…

Colvert-Spartakoïd.

"libérales proches de Goldman Sachs et des banques privées" nous ne pourrons certes pas espérer qu'il puisse nous libérer de ces aliénations avec ses orientations et ses mesures prises vis à vis des travailleurs en lutte.

Par contre espérons fermement et agissons pour que le Front de Gauche puisse reconquérir l'audience de trés nombreux citoyens grâce à sa ferme résistance et sa détermination sans compromissions, de lutter avec et pour ces travailleurs, en consolidant l'union avec la plupart des syndicats si possible unis au plan national et européen pour faire céder le gouvernement trop laxiste en vers le Capital et le grand Patronat.

Anonyme a dit…

Pourquoi ce lynchage en règle du grand champion cycliste que fut quoi qu'on dise de l'Américain Lance Armstrong?
Parce que les cols il les a bien montés à la force du mollet et de ses gros bras.
Tout comme Simpson, Poulidor, Jacques Anquetil, Virenque ...ma culture en matière de cyclisme s'arrête là.
Le cyclisme sportif pro a vécu. Ce qui ne l'empêchera pas de drainer l'été prochain des millions de spectateurs sur les bas-c^tés de la Route du Tour.
A vous Cognacq Jay!

Anonyme a dit…

Quelle belle jambe et quels gros mollets peut bien nous faire ce nouveau palmarès?
Et si on s'amusait à savoir si un tas d'écrivains, de cinéastes et d'artistes n' ont pas obtenu leurs récompenses, prix Nobel, Césars, Goncourt etc... sans se doper, se droguer. On serait stupéfaits!