vendredi 5 avril 2013

Vérité(s): de quoi Cahuzac est-il le symptôme?

L'affaire Cahuzac ne saurait être uniquement la corruption – et de quelle ampleur! – d’un homme politique aux responsabilités majeures. Elle nous dit aussi quelque chose de l’état de notre République, de nos institutions et de la formation de nos élites...

Cahuzac. Le stade des aveux procède toujours d’une sorte de commotion. D’abord pour celui qui les consent, comme une libération intime ; mais également pour ceux qui les reçoivent, contraints. Difficile de comprendre les ressorts psychologiques qui ont poussé Jérôme Cahuzac à se dégrafer devant tous, sinon, probablement, la lecture accablante du contenu des premières investigations de la Justice, dont il savait qu’elles seront rendues publiques tôt ou tard et qu’elles parapheraient son indignité nationale et son lynchage médiatique. A l’affront programmé, fallait-il ajouter l’acharnement personnel ? Notons au passage que s’il l’avait pu, il y a tout lieu de croire que Monsieur Cahuzac aurait maintenu sa ligne de défense comme si de rien n’était, multipliant les mensonges, comme depuis des mois, avec une constance qui n'avait d'égale que sa morgue à l'encontre de ses accusateurs, significative de dérives nourries par un sentiment d’impunité insupportable.
Evoquer la sacro-sainte «spirale du mensonge» n’y changera rien, encore moins les tentatives de certaines âmes magnanimes qui affirment – rêve-t-on? – que l’ex-ministre du Budget a trouvé les mots qui «convenaient» pour «exalter sa honte» et «formuler des regrets»… Mon dieu, qu’il est difficile de se réveiller un matin seul au creux du lit!

Morale. Nous mentons contre les autres: mais nous mentons contre nous-mêmes, à nos risques et périls. Rassurez-vous. Il ne s’agit pas, ici, de rajouter du scandale au scandale ou de l’indignation surjouée aux tombereaux d’adjectifs déjà utilisés toute la semaine. Mais à l’heure où la République s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise sociale, comment ne pas reconnaître, et le plus simplement du monde, que rien n’est plus grave et dangereux pour la démocratie que l’atmosphère de suspicion généralisée que provoquent les «affaires» à répétition, celle-ci étant, probablement, une de trop, puisqu’elle porte atteinte directement à la probité de la parole publique? Il s’agit donc moins d’incriminer un individu que d’interroger les conditions formelles – donc morales – qui ont présidé à la trahison du discours vrai… Seulement, en l’espèce, qui parle de morale parle de politique. Et de cette exigence (absolue et éthique) que devrait être la vertu du parler-vrai. Savoir d’où l’on s’adresse ; à qui ; et comment. Voilà pourquoi «l’affaire» Cahuzac ne saurait être uniquement la corruption – et de quelle ampleur! – d’un homme politique aux responsabilités majeures. Elle nous dit aussi quelque chose de l’état de notre République, de nos institutions et de la formation de nos élites, supposées nous représenter. Car tout de même !
Qui était le ministre Cahuzac sinon celui qui, à longueur d’antenne, et depuis si longtemps, appelait aux «sacrifices» budgétaires et à la «Vérité» des marchés et de la Finance érigée comme totem? Cette même «Vérité», accablante aujourd’hui pour lui, prend une toute autre réalité pour le peuple depuis des mois: austérité, rigueur, restriction, atomisation sociale, etc. Une question brûle donc la plume: de quoi cette «affaire» est-elle le symptôme, puisqu’elle s’apparente, pour certains, à un crime envers la République? Une réponse jaillit aussitôt: celui d’un parti socialiste (du moins ses principaux responsables) dogmatique et schizophrénique, totalement coincé entre un programme social-libéral (désormais assumé) et des valeurs «morales» constamment prises en défaut par le monde de l’argent qui ruine tout et pervertit jusqu’aux coeurs des hommes… Souvenons-nous bien du crédo de la Vérité placé au coeur de l’action par Normal Ier, synonyme de «sacrifices» à tous les étages. Au nom de cette Vérité sacrée, la gauche dite «de gouvernement» disposerait dorénavant de tant et tant de «courage» qu’elle n’hésiterait plus à choisir des réponses économiques de droite à des questions sociales de gauche. Le problème? Il est limpide: l’ex-ministre du Budget était l’un partisans acharnés du changement de logiciel du Parti socialiste, jusqu’à assumer ce qu’il appelait un «nouveau centre de gravité de la gauche». Ceci a-t-il à voir avec cela?

Armstrong. On pardonnera au bloc-noteur une expérience toute personnelle, fruit de longues années d’expérimentation, sachez-le. Dans la stratégie du mensonge éhonté face caméras, Lance Armstrong vient peut-être de trouver quelqu’un pour rivaliser avec lui! Ne rigolez pas. Qui a croisé Armstrong dans sa vie sait à quoi s’attendre de paroles arrachées «les yeux dans les yeux». Un mensonge, aussi mineur soit-il, reste un mensonge. Dans le vélo, on commence toujours par se doper «petit», avant de charger la mule. Alors qu’un ministre-menteur disposant de comptes cachés à l’étranger s’occupe de l’évasion fiscale…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 5 avril 2013.]

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