lundi 9 septembre 2013

Syrie: délire guerrier

Le droit international ne se fonde pas sur la force et les capacités militaires de ceux qui peuvent les engager partout sur la planète ! 

John Kerry et Laurent Fabius, à Paris.
C'est parfois dans les coulisses des sommets internationaux que nous sommes fondés à apprécier l’universalité de ceux qui nous gouvernent. Jugez-en plutôt. À peine sortis d’un G20 qui entérina l’isolement des États-Unis et de la France sur le dossier syrien, à quoi se sont prêtés François Hollande et Laurent Fabius lors de la rencontre entre les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, samedi, à Vilnius? À la construction d’un simulacre de consensus entre pays européens, doublée d’une tentative d’enfumage des opinions publiques qui restera dans les annales des tours de passe-passe diplomatiques. Alors qu’une réunion sur le processus de paix israélo-palestinien s’éternisait à l’initiative de Catherine Ashton, celle-ci profita du départ de plusieurs dignitaires des pays membres – assurés qu’il n’y aurait pas de vote sur la question syrienne – pour affirmer que le «consensus» des présents suffisait afin d’exiger «une réponse forte» à l’attaque chimique du 20 août à Damas.

La plupart des commentateurs relaient depuis l’idée d’un  triomphe français et américain ; l’Europe parlerait d’une seule voix pour agir en Syrie ; Angela Merkel elle-même aurait fini par adhérer à cette idée… Attention à la supercherie, car la réalité mérite d’être nuancée. 



D’abord, il y aurait de quoi s’étonner de la présence à cette réunion du secrétaire d’État américain John Kerry, assis à la table des Vingt-Huit comme si de rien n’était, venu prêter main-forte à Laurent Fabius et défendre le principe d’une intervention armée hors mandat des Nations unies. Ensuite, rappelons que si l’honnêteté était encore une valeur partagée, chacun devrait reconnaître que la formule «réponse forte» mise en avant par l’UE reste assez vague pour satisfaire à la fois les dirigeants français et ceux qui sont opposés à un engagement sans l’aval de l’ONU. D’où cette question: les satisfactions affichées par Kerry et Fabius sont-elles plus médiatiques que politiques? «Nous ne parlons pas de guerre», explique John Kerry à qui veut l’entendre. Pourtant, si l’on en croit le Los Angeles Times d’hier, le Pentagone préparerait des frappes sur la Syrie «bien plus longues et plus intenses que prévu».

Comment croire qu’une aventure guerrière sous commandement états-unien pourrait résoudre quoi que ce soit, au risque plutôt de déclencher un embrasement régional auquel nul n’a intérêt? Depuis dix ans, toutes les «stratégies» militaires des artisans d’une lecture du monde en termes de choc des civilisations se sont révélées désastreuses. Qu’ils le veuillent ou non – et ce n’est pas la moindre de nos critiques –, Barack Obama et François Hollande se glissent dans les pas de leurs prédécesseurs, Bush «le faucon» et Sarkozy «l’Américain». En passant outre une résolution de l’ONU et en fondant le droit international sur la force et les capacités militaires de ceux qui peuvent les engager, ils laissent même planer le doute sur la sincérité de leurs arguments et discréditent définitivement leur volonté jadis affichée de «nouvelle relation» au monde…

Alors, qu’on nous permette un trait d’amertume. Cette semaine, vous n’entendrez parler que de «l’intervention militaire occidentale en Syrie». On ne s’y prendrait pas autrement pour faire oublier que 81% des Français sont «inquiets» pour leurs retraites, selon notre sondage CSA, et qu’une journée d’action contre la réforme du gouvernement Ayrault, mardi, se déroulera partout en France. Pour le dire autrement: comment accepter que nos dirigeants continuent d’être servilement inféodés à l’Otan et à Washington, au point de négliger certaines priorités?


[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 9 septembre 2013.]

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