vendredi 4 octobre 2013

Honneur(s): quand certains maîtres nous font honte...

Marcel Gauchet tente de nous expliquer la "stratégie" de Normal Ier. Plantu passe les bornes. Drôle de semaine...

Singer. Vous avez remarqué? Le bombement de torse devient donc la chose du monde la mieux répandue. À qui parlera le plus et souvent le plus fort (c’est mécanique). L’éloge du silence –en gage au moins de réflexion avant action– devrait être décrété comme sauf-conduit de l’époque, mais qu’y pouvons-nous, quand plus personne ou presque ne croit ni ne pense à la chute comme possibilité, acceptant comme acquise la liquidation du mea culpa en tant que mode d’existence quotidienne par laquelle tout se vaut et tout se perd à la mesure du vertigineux présentisme. Narcissisme autorisé à tous les étages. Bien-être autocentré. Paroles en vrac quasi mythifiées. Experts en surpuissance fantasmée... Avant de singer ce que nous ne sommes pas, chacun devrait se rappeler la prophétie de Régis Debray: «Tout grand homme meurt deux fois, une fois comme homme, une fois comme grand.»
 

Maître. Où l’on reparle de la «cohérence» de la politique de Normal Ier. Cette fois, pour y voir plus clair (sic), Marcel Gauchet a été interrogé par Marianne. La lecture attentive de cet entretien nous en dit long sur la période que nous traversons. Pour le philosophe et historien, directeur d’études à l’EHESS et patron de la revue le Débat, il est une vérité bonne à dire: «Sur le fond, je serais tenté de penser que le chef de l’État sait où il est contraint d’aller, mais qu’il a d’autant moins envie de nous le dire qu’il ne trouve pas cette direction exaltante et qu’il essaie de sauver ce qui peut l’être à l’intérieur de cette ligne imposée.» Vous suivez le raisonnement? 
Marcel Gauchet poursuit: «Nicolas Sarkozy voulait normaliser la France avec enthousiasme, il trouvait que nous faire passer sous la table libéralo-européenne était un objectif excellent. Hollande me paraît convaincu que, compte tenu de la situation et du rapport de forces, il n’a pas tellement d’autres choix. Il essaie de le faire en ménageant le pays au lieu de le brutaliser, c’est tout.» Chaque mot compte. Et ce n’est pas tout. Le philosophe affirme que la France est enserrée «dans un tissu d’engagements et d’obligations qui ne laissent qu’une marge de manœuvre très étroite», mais que, bien sûr, «on ne peut pas le dire non plus parce que ce serait un aveu humiliant». Vous avez, comme nous, parfaitement compris la logique. La politique suiviste envers les dogmes libéraux serait une obligation contre laquelle nous ne pouvons rien et qu’il serait inutile, pour ne pas dire vain, de contester. D’ailleurs Marcel Gauchet confirme son point de vue en usant d’une dialectique assez surréaliste: «Nous avons des gouvernants condamnés au mensonge par omission ! Les Français élisent des dirigeants pour qu’ils leur taisent ce qu’ils ont peur d’entendre ; qu’ils en fassent le moins possible, tout en leur promettant l’audace et la réforme.» Et attention à la chute: «Tout ce qu’on peut espérer, c’est que ce blocage morbide finisse par provoquer une prise de conscience collective. Qui sait, c’est peut-être le vœu secret de François Hollande?» Vous avez bien lu. C’était le petit manuel non illustré de la pédagogie du renoncement. Quand on vous dit que l’homme a besoin de maître pour apprendre à se passer de maître…

Honte. Adieu Plantu: le bloc-noteur n’a pas été le seul à penser spontanément à ces mots, cette semaine, en découvrant l’un de ses dessins en une du journal le Monde –qui du coup nous est tombé des mains tout aussi spontanément. Plantu, encore Plantu, fidèle à sa désormais célèbre vulgarité boboïsante des dernières années, capable cette fois de dresser un parallèle entre un islamiste qui interdit à une jeune fille d’aller à l’école et un syndicaliste qui interdit à une salariée d’aller travailler le dimanche… Est-ce donc cela, la caricature, un mélange de bêtise innommable, ambiguë et carrément populiste, fameux travers qu’il prétend combattre chaque jour? Dangereux récidiviste, Plantu. Multirécidiviste même. Contre les salariés en lutte, contre la CGT héritière du CNR, contre les communistes et le Front de gauche, contre bien des idées qui ne parcourent pas fréquemment la rive gauche. De quoi Plantu est-il dorénavant le nom? De l’ultradroitisation des bien-pensants qui s’amusent du climat pourri comme on joue avec le pire. Avouons-le, ce dessin aurait pu être signé par Nicoléon, par Buisson ou par l’un des sbires de fifille-la-voilà, autant de chiens de garde du capitalisme auxquels Plantu prête la main en alimentant l’islamophobie et l’antisyndicalisme de caniveau, allant jusqu’à assimiler l’obscurantisme religieux à des syndicalistes qui se battent pour l’intérêt général et contre la régression sociale. Honte à lui! Pendant la présidentielle, il avait osé associer la fille de papa-nous-voilà à Jean-Luc Mélenchon. Le procédé était déjà ignoble et scandaleux, nous nous étions alors promis de ne plus y retourner. S’engager, c’est se souvenir. Fors l’honneur! Adieu Plantu.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 4 octobre 2013.]

Aucun commentaire: