vendredi 14 février 2014

Origine(s): à propos de l'ordre moral...

Quand la doctrine économique des socialistes au pouvoir ressemble au concepts fondamentaux de la droite. Et quand la France maurrassienne ressurgit...

Marqueur. Les semaines passent et les mots nous manquent, en vérité, pour exprimer au plus près notre ressentiment devant ce qu’il convient non plus de nommer des «renoncements» ou des «changements de cap», voire des «trahisons», mais bien une défaite à l’Idée même de gauche dans ce que sa tradition a de plus hautement symbolique. Normal Ier ne déçoit pas, ou plus, il assume un libéralisme échevelé qui se rapproche tant des concepts fondamentaux de la droite du centre et de l’UMP que sa doctrine économique ressemble, sans exagérer, à un copier-coller des programmes nicoléoniens de 2012. Qui eut cru, quand même, que les références à Munich, à Jules Moch ou à Guy Mollet nous viendraient immanquablement à l’esprit en regardant s’activer un président socialiste qui a cessé de l’être, un premier ministre qui ne sert à rien, un ministre des Finances qui ne jure que par l’OMC, la troïka et le FMI, et un ministre de l’Intérieur – adieu le temps des cerises – qui est à peu près à la gauche ce que Hortefeux et Besson étaient aux idées progressistes, à l’époque de leur « gloire » ministérielle… Oui, nous avons mal.
Non pas que nous attendions quelque miracle que ce soit de ces hommes livrés aux marchés et qui ont tout bazardé depuis si longtemps. Que certains s’en souviennent : avoir cru en leur sincérité était sinon une idiotie intellectuelle, du moins une grave erreur politique… Avouons-le: depuis cette semaine, un cran a été encore franchi dans l’inacceptable. L’abandon en rase campagne des dispositifs législatifs synonymes d’avancées pour les droits des familles, annoncé par Valls dans un premier temps puis confirmé par l’exécutif dans un deuxième temps, a quelque chose d’irréparable. Exit l’ultime marqueur gauche-droite. Céder ainsi à la pression d’une rue réactionnaire est bel et bien le dernier avatar d’une dérive majeure. Il y a deux ans, «le changement» c’était maintenant. Mais maintenant, les socialistes au pouvoir assument une période d’involution.
Mélange. La droite conservatrice et réactionnaire a marqué des points. La question légitime est celle-ci: doit-on exclure l’hypothèse que les mouvements Manif pour tous et Jour de colère, avec leurs ramifications dans bien des branches de la fachosphère, finissent par se radicaliser encore plus et s’installent dans la durée, imposant une ambiance clérico-ultraréac mâtinée de dieudonnisme populaire allant jusqu’à maintenir la société tout entière sous tension? Cette semaine, dans Libération, l’historienne Danielle Tartakowsky n’y allait pas par quatre chemins. Selon elle, «il s’agit d’une France maurrassienne, même sans le savoir» et l’absence de vraie riposte à gauche l’inquiète. «Quand je dis la gauche, je parle des formes à construire, à inventer, et non pas de la gauche institutionnelle. La manifestation des ligues factieuses, le 6 février 1934, a eu pour conséquence d’engager le processus du Front populaire et les droites ne sont plus descendues dans la rue jusqu’au 30 mai 1968.» Puis elle précise, sous forme de regret ou d’invitation: «Mais, à gauche, on n’a jamais eu de mouvements de masse sans que les organisations syndicales y jouent un rôle majeur.» La peste brune est-elle à nos portes ? N’exagérons rien. Mais soyons vigilants. Car nous connaissons par cœur les origines du mal et son terreau social, partout où s’abattent les politiques austéritaires. Il suffit de voir le mélange des slogans dans les rassemblements ultraconservateurs pour comprendre que l’affaire est non seulement sérieuse, mais complexe à juguler. Nous y trouvons en effet tous les «contres»: les gays, le droit à l’avortement, l’euthanasie, l’Europe, l’euro, les étrangers, les Roms, les juifs, l’art «dégénéré», on en passe et des pires. Ne le cachons pas: dans certains endroits, l’extrême droite catholique fait cause commune avec les islamistes 
les plus radicaux, sur fond d’homophobie et d’antisémitisme…

Moral. À ce propos. De quoi parle-t-on lorsque nous faisons référence au «retour de l’ordre moral»? S’agit-il de critiquer «l’ordre» et la «morale» ou «l’ordre moral» tout court? Doit-on, d’ailleurs, procéder à une distinction, moins évidente qu’il n’y paraît après examen. Un petit rappel historique s’impose. L’Ordre moral fut une coalition des droites, formée après les chutes successives de Napoléon III et du gouvernement républicain provisoire. L’association des deux mots – «ordre moral» – y fait explicitement référence. De même 
qu’à la politique mise en place sous la présidence de Mac-Mahon, à partir de mai 1873, dont le but était de préparer à une troisième restauration. Bonjour la référence. Pour mémoire, rappelons que cette période obscure prit fin avec la victoire 
des républicains aux élections législatives de 1876. 
Ne dit-on pas que l’histoire ne repasse jamais les plats?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 7 février 2014.]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour ce petit rappel historique qui figure en fin de ce texte. C'est bien amené.