dimanche 21 février 2016

Chômeurs, Code du travail: la dérive morbide

Si l’exécutif veut passer en force et imposer les dogmes de la flexibilité, faciliter les licenciements, allonger la durée du travail, c’est bien que sa conversion au libéralisme l’a conduit sur l’autre bord, celui du Medef. 

Soyons réalistes et lucides, deux vertus essentielles lorsqu’il s’agit de regarder l’Histoire –avec un grand «H»– droit dans les yeux. La bataille sociale qui s’engage, et qui devrait durer des semaines, des mois, s’avère tellement importante qu’elle pourrait ébranler, voire détruire deux piliers constitutifs de la République telle que nous l’exaltons: le traitement du chômage et les droits élémentaires des travailleurs. Les deux sujets s’invitent au calendrier gouvernemental, l’un n’allant pas sans l’autre. Et hélas, sans surprise, Hollande et Valls poursuivent leur dérive morbide. Pour le chômage, alors que les négociations débutent aujourd’hui entre les «partenaires sociaux», les solutions imaginées sont éloquentes: raccourcir encore la durée d’indemnisation, réintroduire de la dégressivité dans les indemnisations, etc. En somme, si le chômage ne baisse pas –le grand échec présidentiel– et continue même de progresser, c’est sûrement que les sans-emploi eux-mêmes portent une responsabilité. Ci-devant, un gouvernement «socialiste» à la rhétorique thatchéro-sarkoziste: le problème n’est plus le chômage mais les chômeurs! À ce point de méconnaissance de la vie réelle, et devant un tel mépris, les mots d’indignation deviennent insuffisants…

L’opération de destruction des droits est la même avec le Code du travail et le projet de loi El Khomri. La menace en forme de provocation de la ministre du Travail de recourir au 49.3 n’a rien d’anodin. Si l’exécutif veut passer en force et imposer les dogmes de la flexibilité, faciliter les licenciements, allonger la durée du travail, c’est bien que sa conversion au libéralisme l’a conduit sur l’autre bord, celui du Medef. Du coup, la grogne des parlementaires socialistes pourrait atteindre, cette fois, une incandescence moins factice qu’habituellement. Même des journaux comme le Monde et Libération émettent les plus grandes réserves. Sans parler du secrétaire général de la CFDT, pour lequel le texte El Khomri «apporte de mauvaises réponses à des revendications patronales». De quoi aider au changement de rapport de forces? On peut toujours rêver. Le grand Umberto Eco ne disait-il pas: «Si dieu existait, il serait une bibliothèque»? 

[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 22 février 2016.]

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