jeudi 7 avril 2016

République(s): ce qui arrive...

Que se passe-t-il tous les jours, toutes les nuits, à Paris, place de la République?


Changement. «Ils pourront couper les fleurs, ils n’arrêteront pas le printemps.» Certaines phrases peuvent paraître éloquentes ou faussement poétiques à l’excès, mais elles disent parfois la volonté claire, affirmée, de celles qui marquent les esprits et témoignent d’un esprit combatif –par les temps qui courent, prenons-le pour tel. Que se passe-t-il du côté de la place de la République, à Paris, chaque soir, chaque nuit, à l’occasion du mouvement Nuit debout, dont les contours restent à définir, ce qui, en soi, ne constitue pas un problème. «Une nouvelle façon de faire de la politique est en train de naître», clame un participant. Quelques centaines de personnes investissent l’un des antres parisiens les plus emblématiques –surtout depuis les attentats de janvier 2015–, les réseaux sociaux relaient à juste titre, les références aux Indignés espagnols sautent aux yeux, et voilà que nos cœurs se gonflent, que nos espoirs se réveillent, dans le prolongement d’un mouvement social existant, celui contre la loi travail, tandis que nos rêves de convergences des luttes nous étreignent légitimement. Un autre dit, et entendons-le: «Le simple fait que des gens soient présents jusqu’à 4 heures du mat pour penser une nouvelle société est déjà une victoire.» Comment lui donner tort? Comment ne pas s’en réjouir? Comment ne pas imaginer mieux? Au fond, cela prouve une évidence qui parcourt toutes nos têtes de progressistes sachant planter nos ego-histoires en allant si possible à l’essentiel (entendez par là, l’intérêt général), car le temps presse: l’attente d’un changement radical est tellement puissante que la moindre flammèche nous donne des raisons d’y croire. Et vous savez quoi? Tant mieux!

Politique. Bien sûr, le miroir du temps inciterait plutôt le bloc-noteur à la rêverie, au pas de côté, mais les désarrois d’un promeneur solitaire n’ont rien pour retenir l’attention –et heureusement. Ce qui compte ici-et-maintenant, ce ne sont plus les souvenirs oiseux des uns et des autres, amertumés dans les illusions perdues, mais bien ce qu’affirmait l’autre soir l’économiste Frédéric Lordon, venu parler aux occupants de cette place de la République transformée en agora: «Il est possible qu’on soit en train de faire quelque chose.»
La modestie même de cette formule ouvre un champ considérable, en tant qu’exigence réaliste, lucide, car nous traversons une époque si grave que toute illusion serait mortifère. Prenons les choses dans le bon ordre, pas à pas, sans sectarisme mais avec un seul objectif digne d’intérêt, à l’image des mobilisations contre le texte El Khomri: aidons tout ce qui permet la rencontre, autrement dit la jonction, des lycéens, des étudiants, des travailleurs de tous horizons, du public comme du privé, des chômeurs comme des exploités, des cadres comme des intellectuels, bref, de tous ceux qui furent, il y a plus d’un mois, à la naissance de la mobilisation anti-loi travail, pour que les salariés, quels qu’ils soient, et les futurs salariés prennent conscience que ce qui les unit dans ce combat est plus important que ce qui les sépare. Rendez-vous compte? Ce serait peut-être le seul compliment que l’on pourrait adresser à Normal Ier et à son Premier Sinistre: ils ont peut-être été à l’origine d’une insurrection des esprits (en souhaitant quelque chose de plus concret). En voulant détruire le socle historique de la gauche (la vraie) et du mouvement plébéien et démocratique français, ils ont aidé à son resurgissement. Ceux de la République ne détiennent qu’un bout de cette révolte citoyenne à laquelle nous aspirons tant. Nous le savons, rien ne sert d’invoquer la République (la grande, celle-là) ou d’appeler au rassemblement de la gauche benoîtement; sans le mouvement social, point de salut. Pour vivre, la République doit être refondée en devenant participative et sociale. Voilà la traduction politique. Une traduction de rupture. Maintenant, donnons-lui corps. Comme l’écrivait Rousseau: «Les particuliers meurent, mais les corps collectifs ne meurent point. Les mêmes passions s’y perpétuent…» C’est le moment.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 avril 2016.]

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