jeudi 15 septembre 2016

Exception(s): une certaine idée d'être ensemble

La Fête de l’Humanité et sa permanence. Comme exigence.
 
Extase. Et, soudain, l’inattendu nous rattrape par la manche. Comme par effraction. Ou par grâce. À nos pensées douloureuses du moment succèdent alors un sentiment de liberté, une invitation brutale à se délester de nous-mêmes, au point d’éprouver une sorte de vertige et la promesse d’une jubilation (même relative) que nous nous étions interdits jusque-là. Un frémissement. Une élévation. Voici le miracle de la Fête de l’Humanité, unique en tant qu’exception. Vous allez plutôt mal? La Fête vous immunise. Vous avez la tête ailleurs? Elle vous réaffirme. Vous manquez de courage? Elle vous rehausse. Vous avez honte de n’être pas assez vous-mêmes, de trahir parfois le sens profond de votre intimité? Elle vous irrigue et vous impose cette petite extase qui atrophie les heurts et les chasse. Avec la Fête, notre horizon compose quelquefois des ourlets que seule l’imagination déplisse avec progressivité, comme on dirait avec «l’ambition du progrès». Quels meilleurs mots, une semaine après, pour traduire le sentiment qui domine, alors que les ultimes échos résonnent au loin du côté du parc de La Courneuve, nous laissant, chaque année recommencée, un peu orphelin? Sachez-le, une question nous a hantés encore cette année, par exemple au stand des Amis de l’Humanité, le dimanche soir venu, quand un sentiment de joie intense dissipait toutes les fatigues: comment poursuivre le « temps » de la Fête pour que ce temps-là, unique en son genre, ne soit pas qu’une trace éphémère, un souffle, une respiration éperdue mais déjà dissipée par la suite qui mange le meilleur de nous-mêmes? Le bloc-noteur traduit là, en somme, ce que beaucoup pensent: comment préserver «l’esprit» de la Fête jusque dans ses moindres détails de diversité, de richesse et d’intelligence, comment continuer d’ouvrir les fenêtres et d’aérer les idées

 
 L'intégralité de l'échange
entre Philippe Martinez et Régis Debray,
au stand des Amis de l'Humanité, à la Fête 2016.
 
La regrettée présidente des Amis de l’Huma, Edmonde Charles-Roux, avait ainsi formulé le dilemme: «Comment laisser vivre et s’exprimer au-delà de septembre cette “trace” de la Fête, cette “trace” si précieuse et si fragileSon successeur, Ernest Pignon-Ernest, confessait le week-end dernier: «La Fête est un concentré vivant de ce que l’humanité ne devrait jamais cesser d’être toute l’année, mélange d’idéal et d’idées, d’audaces et d’engagements, de maturité et de jeunesse, de fidélités et d’inventions…» Qui dit mieux?

Souvenirs. Comme les lecteurs du journal de Jaurès, le Peuple de la Fête n’est pas monolithique. Rendez-vous compte. À quoi assistons-nous exactement quand le philosophe Régis Debray dialogue longuement, très longuement, avec le syndicaliste Philippe Martinez? À une ré-historisation de la pensée commune, ni plus ni moins! Comme pour conjurer cette négligence de notre temps – incarnée par les médias dominants et ceux qui en font commerce – envers le peuple et une certaine indifférence pour l’histoire en cours. C’est ça, la Fête. Un mélange de clairvoyance et de combats, de partage et d’inventions, sachant qu’il n’y a pas de devoir mais que des désirs, pour éviter d’avoir à se dire que l’on peut tout changer du jour au lendemain, ou pire, croire que l’on ne peut rien changer demain, après-demain. La Fête, c’est toujours un surgissement singulier, propulsé dans toutes ses libertés, ses aspérités, ses altérités. Nous autres, les mécontemporains ataviques, nous savons ce qu’il en coûte de ne jamais renoncer, surtout aux heures de grandes crises idéologiques. La science nous a appris que la vie dans l’univers connu, qui s’étend constamment, est une telle exception que nous devrions passer notre temps à la chérir, à la protéger, à la bonifier par ce nous collectif rare. Si la vie est l’exception dans l’univers, l’esprit est l’exception dans toutes les formes de vie. Au lieu de mettre toute notre énergie qui nous a été donné à détruire ces esprits de l’exception, à sonner le glas de cette beauté-là, cultivons-les, chérissons-les, vénérons-les. Comme nous chérissons l’odeur et le goût des plus beaux souvenirs. 
 
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 16 septembre 2016.]

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