jeudi 16 février 2017

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Il y a dix ans, lors des révoltes de 2005, le regretté sociologue Robert Castel évoquait déjà  la «discrimination négative» dont sont victimes les jeunes héritiers de l’immigration, assignés à résidence, victimes d’un combat de classes à sens unique.
 
Différenciation. Certaines violences policières disent beaucoup de choses de l’état d’un pays. Comment qualifier le nôtre et l’ici-maintenant que nous traversons, à la lumière des événements qui secouent quelques quartiers populaires depuis quinze jours, depuis qu’un jeune homme a subi ce que nous savons? Les appels au calme, certes indispensables, appuyés par les déclarations de Théo lui-même – «Soyons unis, stop à la guerre» –, suffiront-ils à apaiser les vives tensions qui resurgissent périodiquement et posent sur chacun d’entre nous un miroir grossissant? Tellement d’ailleurs que prêcher un catéchisme républicain ne suffit plus, désormais, à résorber une fracture d’autant plus profonde qu’elle porte atteinte précisément aux ferments républicains. Soyons clairs, et ce n’est pas faute de le répéter dans les colonnes du journal de Jaurès, depuis si longtemps que nos plumes semblent comme asséchées par la répétition: jamais la République, dans l’exercice de sa puissance contemporaine, n’a autant délaissé et/ou humilié ses enfants les plus démunis. Le pacte social s’est non seulement délité, mais qu’en reste-t-il vraiment dans les zones les plus paupérisées, là où la simple survie devient une tâche quotidienne et bouche l’horizon? Si la République –par le truchement des représentants missionnés par l’État– ne passe plus dans les quartiers populaires, où passera-t-elle encore? Que devient, que deviendra la dignité des plus faibles? Voici donc un cas de plus, emblématique, éloquent. Un cas de trop. Tout cela à quelques semaines d’une échéance électorale majeure, alors que les grands médias et la plupart des candidats oublient l’«égalité» de nos frontons et résument la vie des quartiers à des «zones de non-droit» et leurs jeunes habitants à des «racailles» à éradiquer, fussent-ils en colère et que ce soit légitime ou non: disproportionné souvent, parfois absurde et contre-productif. Et alors? Ces citoyens-là se sentent-ils traités à parité, comme des semblables, indépendamment de leur origine sociale ou géographique ? 
 
Vous connaissez la réponse: non! Ce fut l’honneur de la République de rompre avec les facteurs de différenciation fondés sur la nature, les traditions ou les hiérarchies. L’égalité des citoyens n’a jamais été un vain mot. Alors que dire des inégalités imposées dans les quartiers populaires? Il y a dix ans, lors des révoltes de 2005, le regretté sociologue Robert Castel évoquait déjà  la «discrimination négative» dont sont victimes les jeunes héritiers de l’immigration, assignés à résidence, victimes d’un combat de classes à sens unique.
 
Tentations. Depuis la fin des «Trente Glorieuses», constatons, non sans affliction, l’incapacité absolue de nos gouvernants successifs à endiguer le chômage de masse – qui frappe plus durement les zones prioritaires déjà déclassées par le recul des services publics –, à corriger les échecs des politiques de la ville – malgré les considérables efforts localement –, à éviter l’effondrement du tissu urbain. Non, le problème des quartiers populaires n’est pas l’islam, mais la crise sociale. Combien de fois faudra-t-il l’écrire pour que cette réalité – la seule visible sur le terrain – pénètre les esprits et les cœurs? Pourtant, pendant ce temps-là, certains continuent à stigmatiser les territoires, réduisant les individus à leur appartenance, soi-disant enfermés dans leurs familles, leurs tribus, leurs couleurs de peau, leurs origines. Ah bon? Qu’ils le sachent: seuls les légumes de terre s’expliquent par leurs racines. Ces tentations moralistes, militaristes, occidentalistes, ressemblent aux pires des néoconservatismes. Nous en sommes là. Quand nous livrons le débat uniquement aux passions politiques et aux intérêts médiatiques, il y a peu de chance que la vérité y trouve son compte. Se reconnaîtront ceux qui le voudront. Parfois, dans la vie, nous nous grandissons à espérer que rien ne se perde.
 
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 17 février 2017.]

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